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  • 06/01/2020 à 09:12

Aujourd’hui, deux citations de Camus pour mon pays

Aujourd’hui, deux citations de Camus pour mon pays

Par Mansour M’henni

En ce jour du soixantième anniversaire de la mort d’Albert Camus dans un accident de voiture (le 4 janvier 1960), il me plaît de rappeler au moins deux citations de cet auteur dont l’œuvre me paraît avoir subi un long malentendu de lecture.

« Albert Camus ou le malentendu de lecture » est d’ailleurs le titre que j’ai donné en 1990 à un article que m’avait demandé une revue universitaire d’Alger pour un numéro spécial consacré à l’auteur, trente ans après son décès.

Jean-Paul Sartre était en quelque sorte un frère ennemi de Camus dans le champ des interrogations existentielles : le premier, par trop idéologue peut-être, a fini dans l’existentialisme comme « un humanisme » ; le second est resté dans une profonde pensée littéraire de l’absurde, à considérer comme d’essence fondamentalement humaniste.

Les deux citations qui retiennent mon attention sont liées à deux personnages étroitement liés, me semble-t-il, à l’humanisme camusien : l’un est mythique, Sisyphe, et l’autre romanesque, Tarrou dans La Peste.

Le Mythe de Sisyphe, qui est un essai sur le premier personnage, a souvent servi pour conclure au caractère pessimiste de l’œuvre camusienne. Pourtant, la dernière phrase de ce texte contredirait une telle lecture : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Ainsi, nullement dissuadé ni désespéré de la fatalité qui le condamne inlassablement et interminablement à soulever son rocher jusqu’au sommet de la montagne pour le voir aussitôt rechuter vers le point de départ, Sisyphe exprime cet attachement inlassable et obstiné à sa tâche, tel un défi lancé au destin, par amour pour la vie. Aussi stoïque que le loup de Vigny, on le croirait chanter les quatre vers clausulaires du poème La Mort du loup : « Gémir, pleurer, prier est également lâche. / Fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie où le sort a voulu t’appeler, / Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Dans La Peste, Jean Tarrou, un personnage partageant avec Camus plusieurs caractéristiques dont une ferme opposition à la peine capitale, dit au docteur Bernard Rieux cette phrase qui me paraît tout aussi représentative de l’humanisme camusien : «Je sais seulement qu'il faut faire ce qu'il faut pour ne plus être un pestiféré ». Au-delà de la riche valeur symbolique de la peste et du but qui s’y explicite dans toutes les ouvertures de ses connotations, je me contenterais bien de la première moitié, ou presque, de la phrase : «Je sais seulement qu'il faut faire ce qu'il faut ». La phrase est dans la pure tradition socratique du célèbre aphorisme : « je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ». Cependant, à l’humilité savante du philosophe, Camus substitue l’autre face de la même éthique humaniste, celle de la responsabilité et du sens du devoir à accomplir. Ainsi, il s’inscrit davantage dans la vie en société et dans l’engagement citoyen. Faire ce qu’il faut indépendamment du poids de l’apport individuel face au drame humain, face au fléau de la peste, n’importe quelle peste.

J’avoue me retrouver aujourd’hui, face à la situation de mon pays, dans le même sentiment camusien et avec les mêmes convictions que celles qui me paraissent se dégager de l’œuvre de l’écrivain du Premier homme, ce livre dont le manuscrit se trouvait à l’arrière de la voiture dans laquelle Albert Camus trouva la mort, un 4 janvier 1960. Comme je voudrais que chacun de nous se prémunisse de ce mot d’ordre pour en faire son éthique inaliénable : «Je sais seulement qu’il me faut faire ce qu'il faut et que je dois m’en sentir heureux» ! Sans doute alors la Tunisie se porterait-elle mieux.

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