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  • 24/03/2016 à 10:39

Chronique : Le Maghreb par la culture et pour la solidarité

Chronique : Le Maghreb par la culture et pour la solidarité
Par Mansour M’henni


L’ombre d’un scepticisme douloureux tend à s’imposer à l’espoir toujours renaissant d’un projet maghrébin considéré, presque de façon unanime, comme une chance pour les peuples de la région, de se positionner justement et efficacement à l’échelle internationale, sur la voie du progrès et de la prospérité. Toutefois, de temps en temps, de petits détails et des actions apparemment mineures viennent nettoyer une part de la poussière ternissant l’image lugubre que d’aucuns cherchent à donner du Maghreb ambitionné.

Tel est le sentiment que j’ai eu en assistant à une soirée de fête organisée par l’Association Promotion Touristique et Action Culturelle à Guelma (Algérie), en marge du 7ème Forum International Kateb Yacine à Guelma du 19 au 21 mars 2016.
La soirée musicale a été meublée par deux troupes algérienne et tunisienne, la première de musique soufie et la seconde de Malouf et de musique classique de Tunisie. La première est de Guelma et a pratiquement chauffé le public pour l’offrir tout accueillant au programme de la troupe tunisienne venue de Mahdia. La soirée, qui devait durer 90 minutes, s’acheva après trois heures. En effet, comment résister à la voix enchanteresse du jeune Allam Oun qui a emballé la foule comme une star de longue carrière. Les morceaux choisis du malouf tunisien ainsi que les chansons de Saliha, de Hédi Jouini et d’autres noms encore, ont pratiquement aboli les frontières fallacieuses et ont fusionné les sens dans un art unificateur comme dans une communion féérique.

De fait, au-delà de sa qualité artistique incontestable, cette soirée a sans doute acquis une grande valeur ajoutée et un impact très profond par la symbolique qu’elle portait, en rapport à la circonstance qui déborde largement le forum académique, touristique et culturel. En effet, le 19 mars fête la victoire algérienne en 1962, après une occupation de plus de 130 ans, et le 20 mars fête l’indépendance tunisienne en 1956, à un moment où l’Algérie aussi avait besoin de cette liberté à côté pour y trouver le soutien espéré et le refuge nécessaire. Je me souviens encore de mes douze ans et je me rappelle avec quelle liesse les nouveaux lycéens que nous étions avions vécu ce fameux 18 mars 1962, le jour où on annonça le cessez-le-feu de la victoire algérienne qui allait être signée le lendemain.

Cette année-là, le lycée de Garçons de Monastir avait ouvert ses portes pour la première fois ; il y avait des élèves de partout en Tunisie ; j’étais dans un groupe qui logeait à l’internat de la Solidarité sociale. La salle d’étude était une ancienne église ; ce soir-là, elle fut pour nous salle de fête et d’inspiration : avec deux amis, nous écrivîmes une pièce de théâtre que nous jouâmes en fin d’année scolaire (juin 1962) en ce lieu-même et rejouâmes, un mois plus tard, dans la place publique de notre village natal, pour commémorer la naissance de la République tunisienne un certain 25 juillet 1957. Plus tard, à la faculté, j’ai découvert Kateb Yacine et découvert qu’il avait publié en 1959, bien avant notre modeste essai, une pièce du même esprit et de même structure et qu’il l’avait titrée La Poudre d’intelligence.

Hier donc, la Tunisie, l’Algérie, la lutte, la solidarité, Kateb Yacine. Aujourd’hui, grâce à Kateb Yacine, je redécouvre les mêmes mots, leurs sens profonds et les valeurs qu’ils symbolisent : la solidarité, la lutte, l’Algérie, la Tunisie… A la douane, d’un côté comme de l’autre, l’accueil souriant et chaleureux ne pouvait nous détourner des signes de rigueur que la sécurité exigeait et cela nous rassurait plus qu’il ne nous contrariait. Sur le chemin conduisant de Sakiet Sidi Youssef à Guelma, à chaque fois qu’on faisait une halte, les citoyens nous saluaient avec passion, demandaient des nouvelles de la Tunisie et priaient pour sa sécurité, des épiciers nous offraient du lait frais sans accepter de se faire payer… Comment vivre cela sans croire au Maghreb, malgré les aléas de la politique ? Cela s’est confirmé dans les travaux du forum où la participation d’une collègue marocaine a été vécue dans le bonheur quasi-familial et où l’obtention d’un prix littéraire par une écrivaine marocaine a fait l’effet d’un signe prémonitoire de l’Histoire. Le temps d’un forum, tous les participants maghrébins étaient à peine distincts dans leurs façons d’être, de penser et d’espérer, mais les rapports avec les collègues européens n’étaient ni moins chaleureux, ni moins sympathiques. Il y avait juste pour les Maghrébins cette communauté d’appartenance qui leur faisait signe d’un profond enracinement historique et d’un grand potentiel d’ouverture sur l’avenir, comme pour rappeler qu’à être soi, vraiment, et à s’assumer comme tel, on peut aller librement et constructivement vers l’autre, dans le sens de l’humanité de l’homme.Heureux rappel de cette façon de voir, au moment même où l’humanité est mise à l’épreuve de ses valeurs fondamentales par la recrudescence du terrorisme et les effets divers de sa folie absurde ! 
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