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  • 23/12/2024 à 13:08

Conversation autour de la littérature tunisienne de langue française

Conversation autour de la littérature tunisienne de langue française
Par Mansour M’henni
Samedi 21 décembre 2024, le Salon du livre de la Médina Yasmine Hammamet a programmé, dans « cette première édition, une rencontre littéraire dans son programme « Le livre en fête » et en a chargé M. Boubaker Ben Fredj, un ancien responsable du ministère de la Culture qui lui a choisi la problématique de « la littérature tunisienne en langue française : état des lieux et perspectives » (en partenariat avec l’Institut Français de Tunisie).

L’objectif de cette rencontre est encore souligné dans la « note conceptuelle [qui note qu’à] l’heure actuelle, il […] paraît important d’évaluer la place qu’occupe cette littérature tunisienne de langue française, et de la situer par rapport à celle d’autres pays […] ».

Une douzaine d’auteurs ont été réunis par les organisateurs, non pas pour donner des communications académiques, mais pour rendre compte de leurs expériences respectives, dans ce qu’on pourrait appeler « une spontanéité réfléchie », telle qu’en donne l’occasion une vraie rencontre conversationnelle qui se concrétise autant dans les propos échangés que, surtout, dans les interrogations intérieures que chacun se pose, au fond de lui-même et trouve le courage souterrain de les assumer.

Mon propos ici n’étant pas de l’ordre du reportage, je me contenterai donc de quelques idées et impressions liées à cette rencontre et à ma manière de vivre (avec) cette problématique depuis six décennies parce qu’en fait, on ne parle pas mieux de cette question qu’en rapport à une expérience vécue et aux déterminants de cette expérience ; c’est, me semble-t-il, en cela que réside l’intérêt et la pertinence de cette rencontre.

Pour ce qui me concerne, j’ai commencé mon expérience par l’écriture de la poésie arabe à 13 ans et celle de la poésie française à 15 ans, mais c’est à 22 ans que j’ai vraiment œuvré, avec une retenue certaine, à m’affirmer, dans la presse écrite, en tant qu’écrivain, publiant exclusivement en langue française parce que ne me sentant pas à même d’apporter du nouveau dans « ma langue maternelle ».

Aujourd’hui, avec 12 titres francophones publiés et un titre arabophone (2024) dans la création littéraire, avec aussi 8 titres francophones publiés et un seul arabophone en matière d’études et d’essais (sans compter les articles et les publications collectives), je pense que la synthèse de mon expérience scripturaire à effets divers, c’est son ancrage dans une appartenance culturelle et civilisationnelle qui, pour être inaliénablement assumée, n’exclut nullement l’ouverture à l’altérité en termes conversationnels ni les échanges à tous points de vue enrichissants dans la perspective d’une révision des rapports de l’homme aux valeurs de l’humanité intelligente et solidaire, quitte à concevoir cela dans une entreprise de réédification de l’humanité de l’homme, voire de l’édification d’une nouvelle humanité.

Quant à la question de la situation et des perspectives de la littérature tunisienne de langue française, je dirais, sur le ton du badinage : « Elle fait son petit bonhomme de chemin entre un passé suspicieux et un avenir incertain, en enjambant un présent folâtre » ! Mais pour rester sérieux, je demanderais si la littérature tunisienne de langue française est vraiment reconnue comme faisant partie de la littérature tunisienne ? A voir le programme concocté pour la troisième édition de la « Fête du roman tunisien », organisée par la Maison du roman à Tozeur du 20 au 22 décembre 2024, aucun nom et aucun titre de la littérature de langue française.

La même « Fête du roman » à Tabarka, du 14 au 16 octobre 2022 a juste programmé une communication de Kamel Ben Ouanès intitulée « Histoire du Prix Comar pour le roman de langue française ». Raison financière oblige puisque le célèbre assureur est partenaire de la fête (Encore conviendrait-il d’évaluer objectivement l’histoire et le cours de cette fameuse compétition à plusieurs déterminants !).

Bref, si ainsi sont les choses pour le roman, on les imagine plus déplorables pour d’autres genres, la poésie par exemple… la poésie surtout. Là est l’argument de taille pour les éditeurs : la poésie ne se vend pas. Si vous voulez en publier alors, pour le public, à vous d’assurer l’opération, avec pour votre éditeur (en fait devenu un simple intermédiaire avec l’imprimerie), un bénéfice satisfaisant, autrement, quels que soient les termes du contrat, il vous tirera le nombre d’exemplaires que lui achètera la Direction générale du livre.

 De toute façon, le numérique aidant, il tirera à la commande et c’est à vous de jouer. Quand il va dans les foires internationales, souvent il ne prend même pas un ou deux exemplaires à exposer, pour le cas ou des curieux voudraient découvrir les nouveautés de son pays. D’évidence, un éditeur est un commerçant avant d’être un engagé culturel.

Pourquoi donc lui en vouloir ? Ajoutez à cela que, dans les établissements d’enseignement, il y a encore certaines oppositions obstinées à ne pas programmer les auteurs tunisiens de langue française. Ici me revient une anecdote : un collègue a été dans un jury de recrutement universitaire où le candidat a présenté un travail sur un auteur tunisien francophone et le collègue de lui faire la remarque : « Dommage que ce brillant travail porte sur cet auteur ! »

Quelques années plus tard, le collègue en fin de carrière est entré dans le jury d’un prix célèbre. L’intelligence pratique a été vite de concocter un roman le temps que les récipiendaires des prix accordés par son jury sont devenus membres des jurys suivants. Le prix acquis, il commence à suggérer que des universitaires travaillent sur ses textes car depuis, il est devenu un écrivain tunisien francophone.

Cette anecdote n’est pas racontée pour valoir un reproche au collègue, mais pour souligner l’aspect aléatoire de la littérature tunisienne de langue française. Pragmatisme oblige ! Que faire alors pour envisager des perspectives moins arbitraires ou moins calculées et pour établir une éthique d’évaluation et d’encouragement plus « démocratique » ? Quoi ? Vous parlez de démocratie ? Il semble qu’elle soit devenue l’instrument le plus efficace de l’oligarchie !

Gardons l’espoir quand même dans des cadres semblables à la rencontre de Hammamet qui feraient l’effet d’un jeu de miroirs renvoyant aux participants l’image inversée de ce qu’ils croient être.
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