Des raisons de l’association de la raison à la foi

Par Mansour M’henni

J’étais en train de penser à une chronique s’inscrivant dans le cadre d’un forum auquel l’association « Questions et Concepts d’Avenir » avait invité les invités les intéressés pour y participer par voie électronique. Le sujet est actuel et semble mobiliser des citoyens de la Tunisie et de l’étranger : « Ethique et politique face au fléau ». J’étais donc dans cette méditation en déambulation dans l’espace restreint du confinement quand retint mon attention l’écran du téléviseur transmettant en direct la prière du vendredi.

Ma surprise était grande, par peur de me trouver devant une situation où les médias seraient en contrepied des recommandations et des restrictions du gouvernement, dans le but de protéger la population. C’est que certaines chaînes ne donnaient aucune précision sur la nature de la diffusion : en direct ou en différé. Heureusement, la Télévision Nationale, bien professionnelle en cela, a eu la présence d’esprit d’inscrire sur son écran la date de la prière qu’elle diffusait : « enregistrement du 06 mars 2020 ».

A ce propos, et dans la perspective du forum numérique ci-dessus évoqué, la pandémie du COVIS-19 a contraint le monde entier à se confiner et à réduire largement sa dynamique et sa mobilité. Chez nous, comme ailleurs, les regroupements sont interdits même pour les prières collectives et d’abord la prière du vendredi. Mais comme prévisible, dès que des restrictions portent sur les pratiques religieuses, des oppositions fermes se manifestent dans une indiscipline fanatiquement acharnée, au nom de la piété. Pourtant, la piété ne se réduit pas à cette rigueur immuable pouvant compromettre la vie des semblables par simple conformité à un dogme que l’esprit même de la religion autorise à assouplir dans certaines conditions. Nous avons tous été élevés dans cette souplesse de l’Islam, conformément à l’humanisme profond dont il est porteur et que plusieurs penseurs éclairés, de chez nous et d’ailleurs, ont clairement démontré. Je rappellerai seulement ce verset d’Al-Baqarah (s.2, v.185), dans trois traductions, celles successivement de Sadok Mazigh (1979), de Régis Blachère (1980) et de Nébil Radhouane (2013) : « Dieu entend vous mettre à votre aise et non vous imposer de contrainte. » / « Allah veut pour vous de l’aise et ne veut point de gêne. » / « Allah veut pour vous l’aisance et ne veut pas pour vous la difficulté. »

Après la décision du confinement général, un autre débat a tourné, chez certains, autour de la légitimité d’une prière du vendredi à domicile derrière la voix d’un iman s’exprimant à la radio ou à la télévision. Evidemment, l’occasion était propice à l’exhibitionnisme de plusieurs muftis (on se souvient des explications de certains imams d’El-Azhar) conditionnant la prière du vendredi à la présence effective d’un « imam vivant » (ce qui sous-entend que quiconque parle dans les médias ne l’est pas). Mais le fond du problème n’est-il pas ailleurs ? La vraie prière n’est-elle pas essentiellement un recueillement profond et une communion avec Dieu faisant comme si le croyant voyait Dieu ? Qu’importe donc où et comment cette prière est faite si son intention profonde est celle-là, Dieu le sait et récompensera en conséquence. D’ailleurs, à la maison, les deux génuflexions de la prière du vendredi sont remplacées par les quatre génuflexions du Dh’ohr, ce qui pourrait faire un plus grand bien, vu la circonstance.

Ainsi vue, la prière de certaines gens qui, en temps de confinement général, sont venus prier devant ou à proximité des mosquées fermées, pourrait valoir plus de péchés que ces gens ne s’en débarrasseraient par un acte contraire à la sauvegarde de la vie humaine, l’une des tâches les plus nobles qu’un croyant puisse accomplir.

Puisse la raison ne jamais se détacher de notre foi, sans quoi nous ne serions que des moutons de Panurge aveuglément conduits par le premier venu qui, s’affublant d’une jebba de piété, peut faire de nous ce qu’il veut !