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  • 12/06/2023 à 09:52

D’une certaine postérité de l’homme sans postérité

D’une certaine postérité de l’homme sans postérité

Par Mansour M’henni


Quel besoin de rester fixé sur des chroniques politiques alors que ce genre de texte est ouvert sur des questions diverses, autant dire à toute question, au gré de son auteur ?

Ces derniers temps, je me sens personnellement en indigestion de la politique chronique qui chercherait à coloniser mes chroniques et je voudrais de plus en plus les inscrire dans des préoccupations, personnelles ou communes, attenantes à la vie de tous les jours et du divers particulaire et particulier.

Aujourd’hui, c’est le titre d’un roman qui m’interpelle, dans sa traduction française par Georges-Arthur Goldschmidt, « L’Homme sans postérité », d’Adalbert Stifter, un écrivain allemand dont la valeur a été reconnue au moins par Peter Handke et par Nietzche. Ce n’est pas de ce roman que je parlerai ici car, après une bonne baignade dans la littérature argentine francophone, je viens de commencer sa lecture, celle-ci étant programmée pour le temps de mes déplacements dans le métro entre le lieu de ma résidence et la bibliothèque. Je voudrais juste, comme en marge de tout le tapage du monde, procéder à une impression de l’instant qui chercherait à se faire prendre pour une mise au point personnelle au sujet de la question de postérité.

Le désir de postérité me paraît au centre de toute conscience et de toute interrogation existentielle. Toute personne y aspire selon ses moyens et ses convictions, qui par une succession masculine dans une société phallocratique, qui par des œuvres bénéfiques s’inscrivant soit dans le registre de la foi religieuse, soit dans le pointage du devoir citoyen. D’autres au contraire y vont même par des actes si horriblement criminels qu’ils voudraient voir faire date et spectacle, pour une longue durée, même après leur mort. Reste à savoir où mettre l’engagement politique (car lui aussi est commandé par la quête de postérité) quand, à force d’entêtement et d’imperméabilité à la différence, il peut frôler l’atteinte au bon fonctionnement sociétal et aux règles du vivre-ensemble, sous prétexte de détenir la vérité, toute la vérité, sur la façon de gouverner les hommes !

Je crois avoir connu, personnellement, les deux premières façons d’être au désir de postérité et y continuer d’être, avec ma façon à moi de les voir et de les concevoir ; mais la dernière – terroriste à niveaux divers – me révolte, et le monde moderne nous fait, malheureusement, de plus en plus fréquemment, l’étalage de ses horreurs.

In fine, plus j’interroge la notion de postérité, plus je me sens proche de la vision camusienne à son propos, une vision que je trouve plus parlante dans son livre Noces, suivi de L'Été, avec des échos philosophiques plus soulignés dans le reste de son œuvre. Pour Camus, la postérité de chacun résiderait d’abord dans sa nature fondamentale en tant qu’un élément infinitésimalement minuscule dans la totalité humaine et dans son monde, ceux-ci n’étant de fait qu’une structure intermédiaire de l’infinie et illimitée grandeur de l’Univers. En mourant, tout être se décompose ou se dissout pour se transformer en un élément nourricier des constituants du cosmos, êtres ou choses, et contribuer ainsi à la continuité de l’existence et à la perduration de la vie cosmique.

Cette philosophie, poétique sans doute, et c’est pour cela qu’elle peut-être une philosophie du commun des gens, positive le drame existentiel de l’être individualisé et l’inscrit dans une perception globale de l’existence. Elle est, à mon sens, génératrice d’un optimisme sisyphéen qui serait de l’ordre de la bonne logique de la vie cosmique et qui, indépendamment de la position de son auteur quant à la spiritualité et à la métaphysique, pourrait croiser les inquiétudes de croyants et d’incroyants.

Les séduire même dans un triste bonheur d’être à la vie avec l’humilité de la petite chose et la grandeur d’être, en tant que telle, partie prenante dans l’absolue construction de l’existence, donc avec une inaliénable postérité cosmique, au-delà de toutes les illusions de postérité qui poussent les êtres humains à s’opposer jusqu’à s’entretuer !

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