Bernard Pivot - Le Journal du Dimanche.

Moncef Ouhaibi, Que toute chose se taise,Paris 2012

PRIX MEDITERRANEE DE LA POESIE  NIKOS GATSOS  .

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  • 20/12/2013 à 11:40

La poésie du premier jour par OUHAIBIi Moncef

La poésie du premier jour par OUHAIBIi Moncef

Bernard Pivot - Le Journal du Dimanche.

Moncef Ouhaibi, Que toute chose se taise,Paris 2012

PRIX MEDITERRANEE DE LA POESIE  NIKOS GATSOS  .

Non, lecteurs, ne fuyez pas. La poésie n’est ni repoussoir ni trompe-l’œil. Ce n’est pas parce qu’elle est ignorée des médias qu’elle ne vit pas. Ce n’est pas parce qu’elle est modeste – quoique l’orgueil des poètes n’ait jamais fait relâche – et le plus souvent souterraine, qu’elle ne produit plus d’œuvres éclatantes.

La poésie a toujours des lecteurs. Probablement sont-ils moins nombreux qu’à des époques plus accueillantes au chuchotement et au lyrisme, mais ils forment une communauté dans laquelle la curiosité le dispute à la ferveur. Je suis certain que de nombreux lecteurs du JDD jugeront prometteur qu’en ce premier jour de la nouvelle année la poésie s’affiche dans leur journal. D’abord, à travers un homme, Bruno Doucey, qui revendique avec panache l’héritage du poète et éditeur Pierre Seghers. Non seulement il a dirigé pendant quelques mois les éditions qui portent le nom de son célèbre aîné, mais c’est lui qui avait rédigé le catalogue – une vraie biographie illustrée – de l’exposition "Pierre Seghers — Poésie, la vie entière", du musée du Montparnasse.

Poète lui-même, Bruno Doucey a eu l’audace – sans argent – de créer une maison d’édition. Dans de petits livres très soignés, il publie des poètes du monde entier, militants dans l’âme, lyriques dans l’écriture. Ils résistent aux oppressions de toute nature, ils militent pour la liberté, et ils ont du talent. Ainsi le Tunisien Moncef Ouhaibi avec Que toute chose se taise, 21e ouvrage des Éditions Bruno Doucey. Son poème Exercice d’écriture du vendredi 14 janvier 2011, premier jour de la révolution tunisienne, a fait scandale. Parce qu’il a écrit : "Que toute chose se taise ce vendredi/Les chansons des bergers/ L’appel à la prière/Dis-leur/Ne faites pas la prière/Ce vendredi." Rejet de l’islam? Évidemment, non. Entendre plutôt ceci : quand l’Histoire retient son souffle, puis bascule, pourquoi Dieu ne serait-il pas associé aux hommes dans le silence? La fin de ce long poème est terrible. "Mais, si, écoutez bien/C’est le bruit de ses bottes/Le despote/Qui s’enfuit/Qui part/En hâte/Qui traîne ses pas lourdement/Vers l’endroit où/Il s’endormira/Dans un cadavre vide."

Si Moncef Ouhaibi est une découverte, Vénus Khoury-Ghata est une poète confirmée. Elle recevra début janvier le Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre à laquelle un recueil, Où vont les arbres?, vient de se greffer. Tilleuls, saules, ormes, arbousiers, platanes, érables, chênes, figuiers, eucalyptus, cyprès, châtaigniers, et tous les arbres des forêts du Liban, victimes aussi d’une guerre de quinze ans, sont célébrés dans un recueil où l’on entend le vent s’engouffrer entre les mots. Les arbres sont résistants ou de passage, ils sont solidaires ou ils ont l’air absent, certains ont des noms imprononçables et d’autres font partie de la famille. Car elle est bien présente, la famille, avec la figure dominante de la mère, le père, les enfants, le jardin, l’école, les livres…

Franco-Libanaise, Vénus Khoury-Ghata ne peut faire oublier dans sa poésie qu’elle est aussi romancière. "Les enfants nés à la lisière des saisons/Ont les épaules étroites du ruisseau : les cils emmêlés du houx opiniâtre/Les mères les lavent dans des bassins au long cours/Les frictionnent au benjoin malgré la pénurie des sentiments." Vénus Khoury-Ghata sait donner de l’affectivité aux choses, de la sensualité, du mouvement à l’inertie. "Viendra un jour où même les pierres diront ce qu’elles ont sur le cœur" ; "Comment expliquer la lassitude des fenêtres face au même paysage?" ; "Maudits les murs qui ne savent pas retenir les enfants" ; "Est-ce l’homme ou l’arbre qui eut le dernier mot?"

Bernard Pivot - Le Journal du Dimanchedimanche 01 janvier 2012 Bernard Pivot

Pour voir la traduction en arabe

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