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  • 06/02/2016 à 13:05

La politique des yeux sur le crâne et l’ultime destin

La politique des yeux sur le crâne et l’ultime destin

Par Mansour Mhenni


« Je suis vraiment dégoûté, me dit dernièrement un ami, par la plupart des discours politiques qu’on accroche au fil des médias comme un linge sale difficile à sécher ! ». Le bonhomme était très affecté. La mort dans l’âme, il disait ne plus vouloir voir la télé, ne plus vouloir écouter la radio en voiture, ne pas s’arrêter devant un kiosque de journaux et encore moins en acheter. Pire encore, il songeait sérieusement à bloquer provisoirement son compte facebook qui serait pourtant son principal espace d’intimité et qui lui semblait plus sincère en vers la réalité des choses malgré ses informations les plus contradictoires parfois.

Et d’expliquer : « Le gens qui s’y expriment sont perdus comme moi et aussi malheureux ; leurs contradictions sont la preuve de leur perdition, et leur communication parfois, à travers le voile de la toile, est une forme de compassion solidaire et de communion dans la désolation pour dire à mots couverts un espoir qui persiste et n’ose laisser s’éteindre sa dernière lueur ! ».

Et de se taire après, sans autre précision, et sans curiosité pour une quelconque réponse. Resté seul dans le bourdonnement de sa voix qui continue à battre dans ma tête avec une colère sans violence et une résistance sans force, je me suis découvert au fond assez semblable à mon ami et ma première question à moi-même a été « pourquoi ? ».

Comme par un hasard objectif, ce jour-là, en rentrant, je me suis trouvé devant la diffusion d’un entretien télévisé réalisé avec le président de la République, un entretien qui m’a paru presque provoqué (Serait-ce un ancien réflexe, chez moi ou chez les autres ?), ou au moins coïncidant avec un désir profond du président après le départ de son chef de cabinet et les commentaires qui en avaient découlé.

C’est un fait pour le président qu’il s’agissait d’une « démission entendue » et la preuve en est que le partant était sur la liste des « décorables ». On l’a compris : la forme est sauvée et le fond y est.

Puisqu’on était aux mises au point pour essayer de dépasser les malentendus, le président a repris ses propres propos qui avaient énervé le Front Populaire pour essayer d’arrondir les angles sans tout à fait se laisser mettre en faute ou en maladresse, au nom de son statut même et sans doute « du prestige et de la respectabilité de l’institution présidentielle ».

Au final, au nom de cette même vision et proverbe à l’appui, le président prend l’engagement ferme de ne plus se mêler des partis et de plancher sur le seul intérêt de la patrie : ni son parti ni celui de quiconque d’autre. En fait, il y a bien là l’aveu d’une erreur, au moins d’une maladresse, mais c’était inévitable.

Au terme de l’entretien, c’est aussi la même question qui m’a interpellé : « Pourquoi ? ». Le président de Nidaa Tounès se serait-il à ce point trompé sur ses hommes et ses proches collaborateurs, si bien qu’il les a installés dans d’importants lieux de décision sans mater leurs animosités réciproques et leurs intérêts concurrents ? Se serait-il laissé berner, lui-même, par certaines de leurs complaisances, au point de manquer à la fermeté qui devait lui permettre de rester à égale distance de toutes les susceptibilités et de tous les calculs ? De rester surtout dans la seule logique de l’Etat ?

Il me semble en fait que cet entretien du président, comme le signe d’un regain de conscience, résume on ne peut mieux l’état d’hésitation et d’inconstance qu’on sent, depuis cinq ans, à tous les rouages de l’Etat, à toutes les catégories des formations politiques, à toutes les politiques gouvernementales. On comprend alors pourquoi la déception est si généralisée et le fossé est autant creusé entre d’un côté un peuple qui en est à regarder l’avenir dans un rétroviseur, de l’autre ses politiques, et certains médias ou hommes d’affaires dont la complicité n’est plus à prouver, courant vers leurs intérêts respectifs avec des yeux sur leurs crânes, insensibles aux espoirs des pauvres gens qu’ils piétinent et qui ne peuvent être que dans l’état moral de mon ami.

Encore une fois, c’est la question « pourquoi ? » qui me harcèle, avec un postscriptum qui chuchote : « Attention ! A trop se hâter avec les yeux sur le crâne, on risque de n’avoir que le précipice pour ultime destin ».

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