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  • 19/02/2018 à 09:38

La traduction et l’éthique de l’humilité

La traduction et l’éthique de l’humilité

Par Mansour M’henni

Une journée d’étude a été récemment organisée à Moknine autour des « problèmes de la traduction », par l’Institut Supérieur des Langues Appliquées de Moknine, en partenariat avec l’institut de Traduction de Tunis et l’association « Questions et Concepts d’Avenir » (QCA). 

Elle a permis aux étudiants de la spécialité, mais à d’autres encore, de soumettre à l’échange des questions brûlantes liées à leur avenir et à celui de la spécialité à laquelle ils consacrent l’essentiel de leur formation.

L’opportunité du partenariat entre un établissement universitaire (ISLA-Moknine) et un établissement à tutelle culturelle (Itrat) est heureuse dans l’esprit d’une ouverture des questions fondamentales à des champs variés où se croisent l’enseignement, la professionnalisation et la pratique culturelle. L’action civile peut constituer alors un ingrédient supplémentaire favorisant la cohérence de la vision et de la démarche, et ce fut le cas puisque le troisième partenaire est un acteur de la société civile, en l’occurrence une association (QCA) engagée dans un projet d’articulation de la science, de la culture et de la société, pour une pensée et une action ciblant l’avenir dans la meilleure de ses configurations.

Il ressort de cette rencontre que, souvent, les étudiants de traduction manquent d’informations sur l’avenir de leur spécialité et ont une idée insuffisante sur les deux principales branches de cette spécialité, en l’occurrence la traduction simultanée relevant essentiellement du champ de l’oral et la traduction écrite qui comprend, elle aussi, deux volets : celui de la traduction technique et celui de la traduction littéraire.

Une fois cela tiré au clair, le plus important à intérioriser par un futur traducteur, c’est que la formation classique représente bien peu de chose devant l’autoformation, celle-ci étant surtout un exercice de culture générale, de maîtrise linguistique, au moins bilingue, et de pratique traductive.

On en déduit que l’enseignement traditionnel, dans quelque matière que cela se fasse, n’ajoute rien et peut même avoir un effet inhibiteur de par la frustration qu’il peut causer chez le jeune traducteur. Ce qui conviendrait donc, c’est, à partir d’un ensemble de compétences de base vérifiées, asseoir une dynamique d’ateliers de travail interactifs entre les « auto-apprenants », se corrigeant mutuellement et aboutissant, dans la pure logique conversationnelle, à un ensemble de déductions répondant à certaines questions et en laissant d’autres à de plus amples développements. Certes, cela se ferait plus facilement dans le cas de la traduction orale ; mais la traduction écrite, littéraire surtout, gagnerait à s’adapter, au moins au premier stade de la formation, à cette dynamique interactive dont l’enseignement en général, à tous ses niveaux, pourrait tirer un grand profit et beaucoup d’efficacité.

Au centre d’une telle opération, il ne faudrait pas manquer de souligner l’importance on ne peut plus déterminante de l’humilité en traduction. En effet, quoi que l’on fasse, on tend toujours à traduire le mieux possible, mais on ne traduit jamais parfaitement. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il conviendrait d’entendre le célèbre aphorisme : « Traduire, c’est trahir ».

Sans doute devrait-on souligner également, à propos de la traduction littéraire, que celle-ci se conçoit de trois façons différentes qui sont autant de visions de cet exercice de grande complexité. Il y a les traducteurs aussi fidèles que possible ; mais leur fidélité risque de se transformer en une infidélité caractérisée si leur traduction se veut à tel point littérale qu’elle porte préjudice à l’expression et à la textualité même. Il y a les traducteurs par trop émancipés du texte de départ, au point de donner un nouveau texte, leur texte, pouvant se classer davantage dans la création que dans la traduction. Dans ce cas de figure, il y a lieu de se rappeler qu’aucun texte littéraire n’est écrit ex-nihilo, à partir de rien, et que « l’intertextualité [étant] fondatrice de la littérature », tout texte littéraire n’est en définitive que la réécriture d’un autre ou de plusieurs autres textes.

Il y a, en troisième lieu, une attitude médiane, celle de l’entre-deux, qui ne s’interdit pas de faire valoir sa créativité dans un maximum de fidélité au texte de départ et qui serait la plus appréciée, d’un point de vue spécifiquement traductif, même si des textes du second cas impressionnent par la qualité de leur écriture et donnent un grand plaisir à la lecture.

Tout cela pour conclure sur ce devoir ou cette éthique de l’humilité dont l’humanité a peut-être aujourd’hui un grand besoin. Et pour remercier les trois organisateurs de la rencontre qui nous a inspiré cette réflexion.

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