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  • 25/04/2019 à 09:40

Le peuple en otage

Le peuple en otage

Par Mansour M’henni

Nous y voici encore : de partout des voix s’élèvent au nom du peuple ou au nom de la Tunisie. Le parti ou la sensibilité politique les moins représentatifs, conformément aux règles de la démocratie en cours, n’ont aucune réserve à crier haut et fort : « Nous ne vous donnerons pas la Tunisie !... ».

Pourtant, la logique de la vie dans une société se prétendant démocratique ou en démocratisation voudrait que tout un chacun ait un droit d’appartenance et un devoir de service au pays, mais que personne, sans une délégation ou une procuration dûment attribuée, n’ait le droit d’anticiper sur une valeur de représentativité ni sur une fonction de représentation non encore acquises. Ainsi, un politicien qui se respecte, et qui respecte surtout la démarche démocratique de l’action politique, ne devrait pas commettre la méprise de parler au nom du peuple et encore moins de donner ou non la Tunisie à un tiers, surtout que ce dernier a, dans son pays, les mêmes droits que lui.

En effet, dans la logique pluraliste, un parti ou toute structure à obédience politique directe ou indirecte ne peut avancer que des propositions, à côté de toutes les autres propositions émanant de leurs concurrents, pour donner au peuple l’opportunité de les étudier de façon contrastive et de choisir, électoralement, la proposition qui lui semble correspondre à ses attentes en temps et lieu de l’échéance électorale.

N’est-ce pas curieux que parfois, dans une même composition politique en pleine décomposition et en démantèlement caractérisé, les deux ou plusieurs parties en conflits internes prennent le peuple et la Tunisie en otage de leurs surenchères et se mettent à les vendre au plus offrant ? N’est-ce pas triste qu’un chef de file qu’on croyait, il n’y a pas longtemps, sage et rationnel se mette lui aussi à refuser le pays à ses semblables, sous-entendant qu’il est en droit de crier cela en face d’un adversaire qui pourrait s’avérer plus représentatif que lui – démocratiquement, s’entend ! Le spectacle est on ne peut plus désolant ! Ce n’est pas de cette manière que nous réussirions une démocratie intelligente et efficace.

Mais le problème devient plus délicat quand on l’aborde du point de vue syndical. On l’a d’ailleurs constaté, les derniers propos du Secrétaire général de l’UGTT ont provoqué un certain étonnement et surtout une suspicion certaine quant au rôle politique qu’entend jouer, dans la prochaine échéance électorale, la centrale syndicale, restée centrale malgré ou à cause d’un timide pluralisme syndical. De fait, la phrase de N. Tabboubi : « Nous ne vous donnerons pas la Tunisie » est on ne peut plus suspecte, si elle n’est pas un simple abus de langage. En effet, d’une manière ou d’une autre, les élections sont une façon de « donner le pays », provisoirement et dans le sens de le donner pour la gestion démocratique, à une force politique électoralement et librement choisie. Et dans ce cas, au lieu de parler de donner la Tunisie, en la chosifiant et en la dévalorisant, il serait plus propre de dire « nous ne voterons pas pour vous » et désigner alors la force politique visée par cette promesse.

De ce point de vue, les Tunisiens s’interrogeraient déjà, en tout cas les plus impliqués, sur la forme de participation de l’UGTT à la prochaine échéance électorale et particulièrement sur l’éventualité d’un regroupement en un corps électoral invité à voter en bloc selon la consigne du syndicat.

Si cela se faisait, ce serait sans doute le premier grand coup fatal à la transition démocratique et à la liberté citoyenne. Affaire à suivre, en rapport surtout au programme socio-économique en préparation par l’UGTT, apparemment dans le même esprit que celui préparé à l’aube de l’indépendance… 
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