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  • 11/05/2020 à 09:22

L’Art de/en prison

L’Art de/en prison

Par Mansour M’henni

L’idée de cette chronique m’a été inspirée par un statut partagé par mon amie Sonia Chamkhi, chercheure en audiovisuel, cinéaste et écrivaine bien cotée. Ce fut à la suite d’une expérience riche et épanouissante qu’elle avait vécue en projetant son film L'art du Mezoued à l’attention des détenus de la prison de Mornaguia.

Voici d’abord son statut : « L'art du Mezoued à la prison de Mornaguia. J'ai vécu ce soir une formidable et première expérience: projeter et débattre de l'un de mes films avec les détenus du centre pénitentiaire de Mornaguia et la promesse de tenir prochainement, et à leur demande, un atelier d'initiation à l'écriture du scénario, histoire de leur donner quelques outils pour mettre en récit leur vécu. En plus de la projection-débat à une soixantaine de détenus, le film a été diffusé en interne, via les postes télés placés dans les chambres, à plus de 3000 détenus. Merci à l'administration pénitentiaire et à l'Association des Réalisateurs de Films Tunisiens (ARFT) d'avoir permis ce lien et cet échange qui donne sens à notre engagement citoyen de cinéastes indépendants. J'en suis franchement émue et fière ».

Je comprends les sentiments de Sonia parce que je les ai vécus autrement et ailleurs. C’était en octobre 2013 au Costa Rica, lors du 12 Congrès mondial de la poésie dans le cadre duquel, les poètes invités, que nous étions, de tous les continents, devaient passer dans des classes de toutes les régions du pays et dans la plus importante et la plus « difficile » de ses prisons. La séance était exceptionnelle : nous y lisions et nous y écoutions les écrits des détenus qui disposaient, au cours de leur séjour, interminable pour la plupart, d’ateliers de création divers et réguliers. A cette occasion, chacun des participants parmi les détenus avait la faveur d’inviter à assister à la séance une personne qu’il choisissait soit dans le cercle familial, soit dans le cercle amical.

A mon retour, j’ai écrit une chronique où j’ai exprimé le désir de voir cette expérience s’ancrer aussi solidement et aussi efficacement, sinon mieux. Puis vint la première édition de la Foire Nationale du Livre Tunisien (2018) pendant laquelle un entretien avec un haut responsable de la direction pénitentiaire nous permit d’envisager ensemble une collaboration du genre ci-dessus développé, parce que je lui en avais parlé et il m’a semblé avoir apprécié et s’être enthousiasmé pour le projet. J’ai donc consigné la proposition dans le rapport moral de la première édition de la foire et remis le PV à tous les hauts responsables de tutelle.

Plus tard, j’ai appris de l’extérieur (car n’ayant pas été associé de près ni de loin) que la seconde édition avait programmé une action similaire, dans la continuité ou l’imitation de celle déjà entreprise dans la foire internationale de la même année. Cependant, il y avait, à mon sens, un manque à gagner dans cette expérience et j’espère que l’avenir permettra d’y remédier.

C’est pour ces raisons que l’expérience de Sonia Chamkhi m’a vivement interpellé, surtout qu’elle a, semble-t-il, initié son propre prolongement dans la mise en place d’un « atelier d'initiation à l'écriture du scénario » ! Et pourquoi pas d’autres activités artistiques et littéraires, dirais-je ? Toutefois, il faut reconnaître que cet enthousiasme de S. Chamkhi n’a pas que des racines intellectuelles et artistiques ; la Dame a aussi une foi profonde dans l’action citoyenne et dans la société civile. De là ce lien essentiel au mezoued qui a fait la matière de son film, L'art du Mezoued, dont on connaît l’histoire et les péripéties et dans lequel elle défend la nature artistique du mezoued. C’est dans sa période de difficulté que j’ai eu le plaisir de l’inviter, malgré la gêne de certains responsables, à une projection débat autour de son film, pour une action à Kélibia d’une association que je présidais. Je le dis en passant : c’est heureux que cette action coïncide avec la diffusion télévisuelle de La Nouba de Abdelhamid Bouchnaq, pour un juste retour de/à l’art populaire comme un giron essentiel – fondamentalement culturel – du sens de la liberté et peut-être d’une réelle conscience de la démocratie.

Affaire à suivre… sans interruption… par tous ceux qui y croient !

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