Les notes du baccalauréat

Par Mansour M’henni

Comme presque tous les ans depuis un certain temps, les résultats du baccalauréat sont suivis de commentaires critiques, ironiques ou étonnés quant à certaines moyennes dépassant les 20 sur 20 et à une note de philosophie jugée inconcevable à 20 sur 20. Ce qui serait regrettable, ce serait d’aller précipitamment vers des conclusions de dénigrement absolu de notre système d’éducation et d’enseignement. Certes celui-ci souffre de carences et de manquements qui sont à examiner de près et rapidement, mais ce ne sont pas ces indices de notation qui en seraient la marque ni la cause.

Pour rester dans le sujet de ces indices auquel est consacrée cette chronique, il importe de préciser d’abord que tout système de notation est relatif, ne valant que pour ceux qui l’établissent, dans le contexte qui est le leur et dans la vision qu’ils prennent comme base de sa mise en forme et de son application. Il semble que le nouveau système de notation du baccalauréat ait été édifié contre une certaine frustration du fait d’une sévérité excessive occultant les efforts louables des candidats et même la valeur d’une intelligence distinctive chez certains d’entre eux.

En effet, on se souvient de ces temps où les professeurs de philosophie consentaient difficilement à dépasser les 15 sur 20 pour le devoir le plus brillant, et que les professeurs de lettres arabes ou françaises n’osaient pas noter une dissertation au-delà de 17 sur 20, quelles qu’en soient les qualités. De là cette citation d’un ami donnée en guise de statut sur facebook : « Un prof atypique a légitimé le 20/20 en philosophie bac.2024. Platon de son vivant n’aurait pas 20/20 en philosophie. » Comme elle est juste, la deuxième phrase de cette citation, car s’inscrivant bien dans l’esprit de la philosophie que Socrate résumerait dans l’esprit de conversation et qui est censé relativiser toute vérité et toute pensée de telle manière que « le plus grand philosophe » serait légitimé de dire : « Je ne sais qu’une seule chose, c’est que je ne sais rien ».

Reste à se demander aujourd’hui si notre système d’éducation et d’enseignement se donne pour objectif de former des philosophes au sens citoyen du terme, autrement dit, me semble-t-il, « un esprit libre et responsable, conscient de ses limites et de son besoin hospitalier et solidaire d’autrui », plutôt que de former des exécutants d’une tradition ou de directives jugées pérennes et inamovibles. La raison sociale répondrait vite, au nom de la raison pratique, qu’il y a un juste équilibre à trouver entre les deux. Pourquoi pas ? Reste à savoir comment s’articulerait cet équilibre recherché et au nom de quelles valeurs et de quels intérêts.

On se souvient qu’une certaine pédagogie des barèmes attribue une note partielle à chaque compétence requise dans un devoir d’examen, comme par exemple, dans la dissertation littéraire, le niveau de langue, la construction du discours, la logique argumentative et la conduite des idées et du savoir acquis. Dans la conhérence de sa logique fondatrice, une telle approche de l’évaluation ne s’empêcherait pas de donner la note maximale à un devoir réussissant les quatre volets. Elle serait ainsi à contre-courant avec la méthode qui suppose qu’un élève ou un étudiant de philosophie serait à situer dans la marge de zéro sur 20 à 16 sur 20, que son professeur serait à situer entre 16 et 18 sur 20 et que le(s) philosophe(s) serait à situer entre 18 et 20. C’est ce qu’insinue la citation de l’ami sur facebook.

Sans prétendre à un jugement catégorique de l’une ou l’autre méthode d’évaluation, il ne serait pas interdit de les repenser dans la confontation de leurs avantages et de leurs inconvénients réciproques et de les adapter à des objectifs d’initiation de l’apprenant à la marche sur la voie de la pensée libre, de l’humilité intellectuelle et de l’éthique citoyenne. Le mode d’évaluation en découlera alors avec la prise en compte de ces objectifs.