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  • 03/05/2020 à 09:25

Les réseaux sociaux et leurs imbéciles

Les réseaux sociaux et leurs imbéciles

Par Mansour M’henni


 


En ce 3 mai 2020, Journée mondiale de la liberté de la presse, c’est la question des fake news qui occupe les devants de la scène médiatique, sans doute du fait du covid 19 et du confinement auquel il a soumis la majeure partie de la population mondiale. 

C’est surtout les réseaux sociaux qui sont accusés, mais les médias dans leur ensemble seraient visés aussi, au moins de façon quelque peu atténuée pour la circonstance.
Il faut dire que pour la presse professionnelle, il y a une éthique à (faire) respecter et des lois à faire fonctionner.
Mais pour les réseaux sociaux, les choses sont plus complexes étant donné la liberté difficilement contrôlable des voix qui s’y expriment.
Tout y serait une question de morale individuelle et sociale puisqu’il serait difficile d’imaginer des institutions et des instances de commande et de contrôle assez efficientes pour endiguer les effets collatéraux de la liberté d’expression (car c’est de cela qu’il s’agit), qui s’y déploient sans freins et en refrain.
Dernièrement, un ami m’a demandé mon avis sur une citation d’Umberto Eco assez fréquemment partagée sur la toile ; la voici : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité.
On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. »
Contrairement à l’approbation absolue de mon ami, j’ai sur cette citation un avis réservé et même critique.
D’abord je trouve inconsidéré de la part de l’auteur du Nom de la rose, sa façon de traiter le commun des gens d’imbéciles, parmi lesquels il y aurait même certains de ses lecteurs.
D’aucuns ont voulu lire la citation dans le sens d’un appel à l’humilité scientifique ; mais celle-ci est exigée plutôt des savants et des intellectuels « de haut niveau », avant de l’être des citoyens communs, au niveau de connaissance moyen ou insuffisant.
Les « imbéciles » qui s’expriment sur les réseaux sociaux sont peut-être en manque de liberté d’expression et par conséquent, trouvant le moyen d’en user impunément, ils en abusent.
Dès lors, les dommages collatéraux qu’ils provoquent, les fake news, plutôt qu’une preuve de leur imbécilité, sont à percevoir comme une épreuve de l’intelligence de leurs récepteurs.
Trop crédules, ceux-ci sont alors piégés plus par leur incompétence à prendre des précautions et à démêler le vrai du faux, que par les discours trompeurs qu’ils rencontrent sur les réseaux sociaux.
D’ailleurs ces discours trompeurs peuvent être des discours délibérément manipulateurs, donc émanant d’une intelligence malveillante plutôt qu’une prétendue imbécilité.
C’est dire que notre liberté est entre nos mains et qu’elle dépend de notre conscience des jeux et des enjeux de toute information et de la parole en général.
Autrement dit, être piégé par une information ou un commentaire dits « (d’)imbéciles », c’est être soi-même imbécile.
Au fait, « être imbécile », n’est-ce pas « manquer d’intelligence, ne pas réfléchir, ne pas raisonner » ? Il ne revient donc qu’au lecteur des réseaux sociaux d’user d’intelligence, de réfléchir et de raisonner.
Quant aux Prix Nobel, n’en déplaise à M. Eco, il y en a qui ne manquent pas de félonie.
Comme l’a souligné dernièrement Antonio Fischetti, « le prix Nobel n'est pas forcément un vaccin contre la connerie ».
Dans son article intitulé « Ces prix Nobel qui ont mal tourné », l’auteur passe en revue certaines de ces illustres personnes dont le Nobel a fait des personnages bien moins positivement brillants. Ainsi, Luc Montagnier (prix Nobel de médecine en 2008, avec Françoise Barré-Sinoussi pour la découverte du virus du sida en 1983) « n’a cessé de glisser de la science à la pseudoscience [et il a surtout] participé à des campagnes contre la vaccination ».
James Watson (prix Nobel en 1962 pour la découverte de la molécule d’ADN)« s’est distingué en 2007 par des propos racistes et homophobes ».
Quant à Konrad Lorenz (« père de l’éthologie, la science du comportement), son engagement, en 1938, dans le parti nazi « auquel il a apporté sa caution scientifique pour justifier les lois raciales », ne l’a pas empêché d’obtenir le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973.
Pour tout dire, nous sommes tous redevables d’humilité tout court, et non uniquement d’humilité scientifique.
Cela seul nous permettrait de vivre dans le respect réciproque et dans la relativisation de nos croyances, de nos opinions et de nos vérités, afin d’aspirer inlassablement à l’idéal démocratique qui germerait dans un modèle de société fondé sur l’esprit de conversation. 

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