• Actualité
  • Chronique
  • 22/07/2017 à 10:11

Les Salons de Hammamet et la mort clinique de l’intellectuel

Les Salons de Hammamet et la mort clinique de l’intellectuel

Par Mansour M’henni 

Les « Salons de Hammamet » qui ont été programmés en trois séances cette année, au programme du Festival International de Hammamet, méritent un surplus d’attention, tant ils nous replacent de nouveau au centre du débat ayant pour objet ce qu’on a coutume d’appeler « l’intellectuel et la chose publique ».

Ces salons, rappelons-le, ressuscitent une activité des années soixante-dix, dans le même cadre, et coïncident avec le regain d’intérêt pour la conscience conversationnelle, tel que cela a été dernièrement initié par des associations concentrées sur l’esprit de conversation, non le dialogue classique, à l’instar de Brachylogia, les Salons de la Sorbonne, et plus récemment le Forum des Questions et Concepts d’Avenir.

Déjà la première séance du 20 juillet 2017, sous l’intitulé commun aux trois séances, « Où allons-nous ? », a confirmé l’importance de telles initiatives tant l’échange y était libre, la pensée relativisée et l’intercommunication horizontale, en plus du cadre agréable qui offre et rappelle incessamment, par le beau spectacle de la baie, la nécessité de l’ouverture dans toute réflexion démocratiquement constructive. Elle a été modérée par le professeur-philosophe Fethi Triki et animée au départ par des interventions brèves, plus interrogatives qu’affirmatives, de quatre intellectuels maghrébins attitrés, en l’occurrence Rachid Boudjedra et Lamine Zaoui d’Algérie, Farid Zahi du Maroc et Chokri Mabkhout de Tunisie. Les deux autres séances se dérouleront le 27 juillet et le 3 août et seront meublées des interventions introductives données par d’autres intellectuels et créateurs aussi attitrés : Ridha Kéfi, Hassen Hamed, Mansour M’henni, Fredj Chouchane, Noureddine Kridis, Fadhel Jaïbi, Hassen Tlili, Pierre Saab et Rachida Triki.

De fait donc, la conversation a bel et bien inscrit son action dans la pédagogie de l’humilité intellectuelle et de la relativisation de la vérité comme deux piliers fondamentaux de tout processus de démocratisation, si bien qu’à la sortie, le public, ayant activement participé à la circulation des idées, paraissait quitter les lieux avec davantage de questions à creuser qu’avec des vérités arrêtées à monnayer dans une quelconque idéologie.

Rien que de ce point de vue, ces salons nous interpellent au-delà même des questions ponctuellement actualisées : identité et altérité, révolution, passé et avenir, maghrébinité, arabité et méditerranéité, la femme et la société, etc. Ils auraient en arrière-fond une question plus grave, au double sens du mot : celle d’une sorte de mort clinique de l’intellectuel dans le contexte actuel.

En effet, le constat est que le débat public tend à exclure l’intellectuel de la participation à la chose publique, en lui substituant de nouveaux acteurs, attitrés à la va-vite, pour des agendas préalablement établis par des manipulateurs politiques, géostratégiques et financiers, trouvant allégeance et servitude auprès de certains médias influents. C’est qu’il n’est pas difficile de constater comment et combien les acteurs de la communication ont réussi la performance de fabriquer des experts en tout, devenus les chroniqueurs de tous les plateaux audiovisuels, ou de jeter à l’eau des communicateurs peu expérimentés dans des formats médiatiques difficilement maîtrisables en langage d’objectivité, forcément relative mais consacrée comme intention, et d’approfondissement de la pensée. Qu’importe alors le background du journaliste ou de l’animateur, il est programmé pour une orientation, il l’applique comme il peut et tout le reste est littérature. « Remarquez, a souligné un intervenant, qu’on fait appel rarement à des intellectuels sur ces plateaux, tout au plus leur fait-on un ghetto supposé être une émission culturelle où un animateur chichement monnayé parle plus que l’ensemble de ses invités ! »

La conversation autour de ces questions reste donc ouverte sur les deux prochaines séances, mais surtout sur le débat public, surtout en société libre de tout effet monnayeur ou manipulateur. Cependant, une idée de clôture me semble nécessiter une conversation spécifique, lancée par Chokri Mabkhout à propos de l’expérience bourguibienne : « Bourguiba est un révolutionnaire classique ! ». Voilà un paradoxe à essayer de résoudre pour savoir assumer un passé dans la perspective d’une construction démocratique.

Nous aurons à y revenir, sans doute.

Partager sur
Retour
Les Dernières Vidéos
Les Dernières Actualités