Les services municipaux entre l’ordre et le désordre

Par Mansour M’henni

Immédiatement après le 14 janvier 2011, la plupart des observateurs s’étonnaient que, malgré le cafouillis ambiant, l’État continuait de fonctionner normalement, régulièrement et efficacement.

Cela dura le temps que les maîtres à bord décident de détraquer l’administration tunisienne, la seule machine dont le rendement n’était pas affecté par ce que l’on brandissait comme slogan de référence : « l’esprit révolutionnaire ».

Inutile de commenter de nouveau ce moment où la boussole perdait ses repères et où l’État se voyait glisser sur une pente descendante jusqu’à faillir tomber dans l’abîme. C’est la raison pour laquelle, en ce temps où l’avenir de la Tunisie semble se chercher une voie aboutissante pour sortir du tunnel, il va falloir prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter à la fois l’anarchie et les abus de la politique politicienne et, de l’autre côté, le rigourisme excessif qui compromettrait la démocratisation, le progrès et la modernité.

Malheureusement, la situation peut s’avérer complexe et compliquée par des dérapages administratifs flagrants, non ceux qu’on affiche souvent au niveau des polémiques classiques de la politique politicienne et des affrontements idéologiques, mais ceux-là qui ont trait justement au détracage de la machine administrative.

Là aussi, il serait peut-être bon de rester attentif plus au fonctionnement courant au niveau du commun des citoyens qu’au fonctionnement du redressement des grands lobbies et des maîtres de la corruption, ce dernier niveau relevant plutôt de la justice que de l’éthique citoyenne.

Je ne voudrais citer, ici, qu’un cas particulier qui me paraît précurseur d’un mal endémique pouvant affecter gravement notre société, celui de l’irrespect de l’ordre dans la gestion des services au profit des citoyens. Je veux parler des services municipaux. J’ai eu besoin, ces derniers temps, pour des légalisations de signature ou pour des conformités de copies, excessivement et peut-être inutilement exigées, d’aller souvent dans une municipalité du Grand Tunis, jadis pressentie comme celle du chef-lieu d’un jeune gouvernorat de grand avenir.

Sans doute l’installation technologique dont elle est dotée a-t-elle été programmée pour la mise à niveau des services municipaux de façon à éduquer les agents municipaux et les citoyens à la notion d’ordre et de respect des priorités. Or ce que j’ai pu constater, c’est tout un cinéma généralisé pour encourager l’infraction à cet ordre et à cette éthique de la citoyenneté du respect, respect du droit et du devoir surtout.

D’un côté, les agents censés veiller à l’application de l’ordre sont eux-mêmes complices des trafics de ce genre, de l’autre les citoyens sont souvent portés vers ce type de fonctionnement parce qu’ils sont convaincus que derrière eux, c’est monnaie courante. C’est à se demander pourquoi donc tous ces investissements à grand prix pour installer la technologie numérique et audiovisuelle quand son résultat est contraire aux objectifs qui l’ont commandée.

Cependant, heureusement, j’ai eu besoin de tels services en étant dans trois petites villes hors du Grand Tunis et j’ai pu voir des municipalités sans ces techniques sophistiquées, en trompe-l’œil… J’ai vu des citoyens respectueux de l’ordre implicite et des agents accueillants, n’hésitant pas à rappeler gentiment à un citoyen tenté de rompre l’harmonie de l’ensemble qu’il doit attendre son tour.

Et le citoyen de se conformer à cet ordre donné sous forme d’une douce demande comme un service à rendre ! Et c’en est un vraiment : un service à rendre au bon fonctionnement sociétal. Reste à savoir qui des deux régimes l’emportera à la fin, celui des municipalités dites civilisées, sans forcément chercher à l’être, ou celui des municipalités autogérées par une éthique citoyenne qui donne l’air d’une morale innée ou d’une éducation de lointaine tradition…