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  • 04/05/2020 à 23:03

Lettre d’un Prisonnier

Lettre d’un Prisonnier

Par Mohamed Ali Dhraief 






Ma petite fenêtre était toujours aussi petite, ma chambre toujours aussi désordonnée, et mes voisins toujours aussi bruyants.  On aurait pu dire que rien n’avait changé mais pourtant tout avait changé : j’étais confiné.

Mon environnement demeurait immuable et cela m’exaspérait. Étais-je surpris que rien n’ait bougé ? Non, je n’étais pas fou, du moins, pas encore.  Mais ma table se tenait trop droite, narquoise peut-être.
Une posture pour me rappeler qu’au final, moi aussi, j’étais matière, moi aussi, je n’allais pas bouger. Il est dur pour moi de concevoir qu’avec toute cette immobilité dans l’espace, le temps lui avançait. J’avais du mal à réaliser qu’aujourd’hui, mercredi ou jeudi ou je ne sais quel jour, se distinguait d’un hier lointain ou du mois passé parce que de toute façon, les journées se suivaient et se ressemblaient.
Le temps, insouciant et hautain, ne connaissait ni pandémie ni pangolin, ignorait la crise des humains et avançait lentement, mais avec serein, et pendant que les journées défilaient, moi, je regardais ma vie défiler devant moi.
Pendant que le temps s’écoulait, moi, je coulais dans la solitude. Pendant que le temps avançait librement, moi, j’étais emprisonné. Cela est dur à avouer, mais je coulais dans la solitude. Ma seule distraction était de machinalement faire les cent pas. Parfois, je me laissais distraire par la seule discussion que j’écoutais. Les voix dans ma tête entretenaient : un tableau bien triste.
Le chuchotement de l’optimiste se faisait masquer par les hurlements glacials du pessimiste. Les murmures de l’insouciant n’étaient plus audibles devant les cris sibériens du paranoïaque. Ne me prenez pas pour un fou ! Je sais que mon imagination a créé tous ces personnages et que la seule compagnie que j’avais était une idée, une idée sournoise et fourbe : le confinement.
Ainsi, le poids de cette compagnie toxique et de cette discussion futile pesait sur mes épaules et me faisait plonger dans les gouffres d’un abîme. Cela est dur à avouer, je regardais ma vie défiler devant moi. Le confinement m’a pris ce qui m’était le plus cher : le libre-arbitre.  Je chérissais ce qui était matériel, mais l’inconscient que j’étais ne savait que ma plus grande possession était la faculté de choisir.
Elle se manifestait tantôt sous la forme d’une liberté intellectuelle pure tantôt sous la forme d’une insouciance émotionnelle libératrice. Tels l'Yin et Yan, la rationalité et la spontanéité s’unissaient en parfaite harmonie pour nous offrir ce sens à la vie. Avant, chaque seconde, j’avais devant mes yeux une panoplie de choix et je me plaignais que je ne trouvais les bonnes opportunités que quand je n’en avais pas besoin.
Aujourd’hui, j’ai faim et je ne peux pas choisir. Aujourd’hui, j’ai faim et soif de liberté. Cela est dur à avouer, j’étais emprisonné. Mais moi, ma sentence n’a pas été prononcée par un ministre, mais par un juge.  Je suis en prison pour un crime que je regrette tant, et me voici aujourd’hui, au nom de la justice, en train de mourir peu à peu, en prison. Je suis un prisonnier et non un confiné.
Bien que vous ne sachiez pas l’amertume dans laquelle nous vivons, vous êtes en train d’y goûter un peu. Je vous écris ces quelques mots dans l’espoir de me sentir mieux, ou que mieux encore, une personne influente arpentant la prison trouve cette feuille. On veut tuer ce qui sommeille en nous de mauvais, alors on tue une partie de notre âme.
On veut enlever tout le violent qui existe en nous alors on nous fait habiter dans un établissement où violence signifie survie. Est-ce que vous pensez que l’expérience du confinement qui est indubitablement plus humaine que l’emprisonnement pourrait rendre une personne meilleure ?

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