Ce qu’on a constaté chez un bon nombre d’écrivains tunisiens, juste après les événements de janvier 2011, c’est une tendance à approcher l’événement de façon trop hâtive (histoire de battre le fer tant qu’il est chaud, pour des raisons essentiellement éditoriales ?!),

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  • 13/12/2013 à 08:46

L’inculture ne fait pas la révolution ; elle reconduit la dictature par Mansour M’HENNI

L’inculture ne fait pas la révolution ; elle reconduit la dictature par Mansour M’HENNI

Ce qu’on a constaté chez un bon nombre d’écrivains tunisiens, juste après les événements de janvier 2011, c’est une tendance à approcher l’événement de façon trop hâtive (histoire de battre le fer tant qu’il est chaud, pour des raisons essentiellement éditoriales ?!),

laissant alors apparaître forcément des lacunes préjudiciables à l’analyse ou à la représentation (tournant d’avantage à la présentation journalistique). Or l’événement aurait gagné à s’inscrire dans la conscience et la pratique créatrices, au-delà de toute raison et de tout effet de consommation immédiate, et à y prendre le temps et la distance nécessaires à la juste évaluation des choses, afin que l’on puisse y faire la part de l’utilitaire et celle de l’essentiel.

De ce point de vue, il importe peut-être de faire un bilan provisoire, trois ans après ce qu’aucuns continuent encore d’appeler une révolution, deux ans après ce qui se dit un gouvernement légitime (avec les divergences que l’on sait sur la notion de légitimité par rapport à la transition). Or ce bilan ne peut conclure qu’à l’échec du principe de « révolution », de par la manifestation criante de tous les indicateurs de cet événement par détournement d’objectifs et de modes de fonctionnement d’un projet de révolution.

Certains trouvent les raisons de cet échec dans ce qu’ils considèrent comme le constat évident d’un paysage quasi-désertique en matière de culture, d’arts et de pensées approfondies. Sauf peut-être quelques cas isolés ou en très petites communautés cherchant à faire perdurer, contre vents et marées, la conscience d’une urgence culturelle. On ne manque d’ailleurs pas à souligner le piège qu’il y aurait dans l’emploi de culture de par sa viscosité l’habilitant à couler tantôt dans le sens de l’art, tantôt dans le sens du politique.

S’il m’est permis, personnellement, de résumer cet état, je dirai que c’est celui d’un activisme descriptif qui tend à réinstaurer une nouvelle langue de bois en appui aux différentes configurations politiques en place. En effet, l’essentiel du paysage culturel de la Tunisie d’après janvier 2011 se résume en ce qui suit :

D’abord une expansion spectaculaire de ce qu’on appelle « l’art engagé », avec une affluence de voix (au sens large) prêtes à crier des mots et des phrases, des couleurs et des bruits, des gestes et des attitudes, tous inscrits sous le slogan d’art révolutionnaire, alors que la recherche artistique y occupe à peine un petit strapontin de service. Ce fut partout le cas, parfois avec une agressivité et une arrogance qui, au nom d’une revendication aussi légitime que la liberté d’expression, avaient pratiquement fait taire toute voix cherchant à continuer dans une sorte de raffinement ou de profondeur de la conception artistique.

On a peut-être oublié alors que pour autant que la conscience populaire peut être innovatrice en matière d’arts et de littérature, un surplus de populisme peut tuer l’art qui reste, qu’on le veuille ou pas, le seul vrai objecteur de conscience en contexte de cafouillages politiques et idéologiques.

Faut-il en vouloir à ces nouvelles voix impérieuses ? Sans doute pas, car elles étaient bien dans leur droit ! La faute serait-elle plutôt à ceux qui, pour une raison ou pour une autre, avaient choisi de céder totalement le terrain et de livrer la sensibilité artistique à ce nouveau produit comme seul aliment disponible en période de pénurie ? Peut-être !

Avec des nuances pour certains. En effet, le comportement violent de certaines tendances d’obédience religieuse, ajouté à un autre comportement revanchard contre la plupart de ceux qui paraissaient avoir eu un bon statut sous l’ancien régime ou qui y avaient assumé une quelconque responsabilité, tout cela confina une large catégorie d’acteurs culturels à se terrer dans un silence stratégique. Même les médias, enivrés par une liberté d’action pouvant aller au-delà de la liberté d’expression, se livrèrent à cœur joie, à la même « politique » discriminatoire et ne savent pas encore, pour la plupart, distinguer l’action culturelle et de création de l’étiquette politique qu’on pourrait coller à tout bout de champ, pour différentes intentions.

Ceux  des créateurs et des intellectuels qui firent de l’activisme résistant se transformèrent vite et pour la plupart en militants politiques. Cela est de bonne guerre dans un contexte où le politique est partout, mais la confusion des deux niveaux de lutte n’a-t-elle pas de quoi assujettir l’un à l’autre et, l’enthousiasme de l’instant aidant, réduire le culturel, au sens large, à un instrument au service de l’action ou de l’autorité politique ? N’est-on pas ramené de ce fait au même schéma qu’on voulait détruire et corriger par esprit de révolution ?

Cela me rappelle le slogan du changement du 7 novembre 1987 à ses débuts : « Le changement est un projet culturel », nous répétait-on. Un beau programme ! On était séduit ; la plupart y adhérèrent. Mais quelques années plus tard, ce slogan devient : « La culture est un soutien pour le changement ». Certains quittèrent alors le terrain, d’autres continuèrent avec l’espoir de pouvoir un jour redresser la barre. Les uns et les autres ont quand même eu droit à l’heureuse consécration de figurer dans un pur produit de l’inculture, intitulé Le Livre noir.

Aujourd’hui, au lieu de faire de la révolution un projet culturel, j’ai tendance à croire qu’on a pris un raccourci pour faire de la culture un soutien au profit d’une idée largement modulable de la révolution, en vue d’une falsification des intentions et des ambitions collectives pour la restauration de nouveaux modèles de l’autocratie ne différant en rien des précédents, avec même de sérieuses menaces pesant sur les choix civilisationnels acquis et consolidés depuis longtemps.

On comprend alors l’idée que la responsabilité est partagée et qu’elle est peut-être d’abord celle des gens du secteur : créateurs et artistes, universitaires et chercheurs, journalistes et chroniqueurs, etc. Eux tous réunis, ceux du livre noir qui sombre dans sa nuit et ceux du livre blanc qui ne verra peut-être pas le jour, tous ensemble pour une culture revivifiée et démocratique comme seule voie pour une nouvelle Tunisie, comme une voix plurielle de la Tunisie.

Mansour M’henni (Chronique inspirée d’une communication récemment présentée dans le Séminaire « Arts, révolution, poïétique », récemment organisé au Centre Panthéon de Paris-Sorbonne en partenariat entre les deux laboratoires le CRAV (Eliane Chiron) et le CUNTIC (Mohamed Zinelabidine), en association avec ATM et de l’ACAM)

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