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  • 25/06/2025 à 15:39

Marzouki… la citoyenneté de/dans la poésie

Marzouki… la citoyenneté de/dans la poésie
Par Mansour M’henni

(Texte de présentation, par Mansour M’henni, du Pr. ém. Samir Marzouki, l’invité du Deuxième Forum Intellectuel et Scientifique de l’Université de Sousse (FISUS 2)
Je voudrais d’abord exprimer mes remerciements à ceux qui ont rendu possible cette deuxième version du FISUS 2, initié par l’Université de Sousse et conduit en partenariat avec le Collectif CURA, et particulièrement Pr. Lotfi Belkacem qui ne cesse de donner des preuves incontestables de son engagement en faveur d’une cohérence constructive des missions de l’éducation, du savoir, de la culture et de la citoyenneté.
Je pense sincèrement que le profil de l’invité de ce second « Forum », en l’occurrence le Pr. ém. Samir Marzouki, confirme cette vision des choses et souligne la noblesse de ses objectifs.
C’est donc un honneur pour moi d’assumer la charge de sa présentation, mais les quinze minutes imparties à cette tâche ne sauraient suffire à rendre compte de la richesse de la carrière de M. Marzouki dans un propos si condensé.
Il me faut pourtant m’y accommoder et, pour commencer, je vais devoir comprimer, jusqu’à un injuste étouffement, un CV d’une trentaine de pages. Retenons cependant que ce natif de la Capitale en 1951 a franchi brillamment sa scolarité, à Tunis, jusqu’à la première année du second cycle des lettres françaises pour s’envoler en 1972 vers la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand (Université Blaise Pascal) et y réussir, toujours aussi brillamment, sa licence de Lettres Modernes, sa maîtrise, son mémoire de maîtrise et son agrégation en 1974, date de son retour au pays.
C’est ici que je m’arrête un moment pour évoque mes souvenirs d’étudiant de mon professeur Marzouki en 3 ème année de la maîtrise de français à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Tunis. Il nous enseignait La Chanson de Roland et pour un spécialiste d’Apollinaire, il nous donnait des preuves du besoin des étudiants de traverser les époques, les genres, les matières et même les disciplines.
Cela coïncidait pour moi avec un moment d’éclatement de mon inspiration poétique et de mes écrits narratifs et journalistiques. Nous étions vite devenus très proches et je lui donnais à lire mes textes, comme à certains autres professeurs. M. Marzouki me disait alors : j’aime surtout ta poésie.
Je crois d’ailleurs qu’il n’a pas changé d’avis. Ce qui importe, dans cet exemple, c’est, chez l’enseignant, l’état d’esprit d’un accompagnement pédagogique et communicatif qui s’est confirmé dans tout le cursus du Pr. ém. Samir Marzouki.
Depuis cette date inaugurale de notre relation où le statut de disciple s’est transformé en celui d’un partenaire conversant, je n’ai eu que des preuves de sa soif de savoir, de sa responsabilité pédagogique, de sa conscience culturelle et de sa fierté citoyenne. Impassible au commérage, souvent doublé d’hypocrisie, il s’est aligné sur une seule éthique dont Vigny disait : « Fais énergiquement ta longue et lourde tâche dans la voie où le sort a voulu t’appeler ».
Je pense que notre foi commune en cette éthique nous a rapproché davantage et nous a permis de travailler ensemble et de coopérer, sans condition préalable.
Je me souviens toujours de sa phrase souvent répétée : « Dans tout projet que tu veux conduire, inscris-moi dans l’équipe sans même me demander mon avis, et je m’acquitterai de ce que je devrai ».
Il en est toujours ainsi. Peut-être est-ce utile de partager certains CV pour éclairer la pensée et la conscience de certains de nos semblables, nos frères, dirions-nous pour plagier Baudelaire.
C’est avec cet esprit et cette volonté que Samir Marzouki a réussi sa carrière d’enseignant jusqu’à l’éméritat, sans pour autant manquer toutes les opportunités, offertes à sa compétence et à son sérieux reconnus, aussi au plan national qu’à l’échelle internationale.
En Tunisie, il a coordonné et dirigé des départements dans plusieurs établissements, il a dirigé autant d’établissements illustres, il a été conseiller au ministère de l’éducation et de l’Enseignement supérieur, puis conseiller du ministre de l’éducation ; il a conduit plusieurs projets et coordonné la réforme de l’enseignement de français dans les années 90 du siècle dernier.
Il préside encore l’ATPF et fait partie de l’équipe dirigeante de la structure homologue à l’échelle internationale. Dans le domaine de la coopération international, il est passé par l’AUPELF, par l'AUPELF-UREF devenue Agence universitaire de la Francophonie (AUF), par l’ACCT et par l’OIF qu’elle est devenue et, depuis 2019 jusqu’à aujourd’hui, il est membre du conseil scientifique de l’Observatoire mondial de la langue française dans l’Organisation internationale de la Francophonie.
Il a assuré de nombreuses missions dans plusieurs pays du monde, ce qui en fait un expert reconnu et qualifié en matière de pédagogie et d’enseignement académique, mais apprécié aussi en matière d’autres champs comme la création littéraire, la traduction et la communication. Samir Marzouki est un vrai poète, qui a sa poétique propre, conçue dans l’articulation du champ de la pensée à la terre arable de l’affectivité. Son attachement à la musicalité du poème n’est ni une solution de facilité ni un classicisme d’imitation.
Il y a peut-être quelques traits d’inspiration héréditaire, comme une reconnaissance des racines au-delà de toutes les distances ; mais il y a 3 un labeur créatif qui tient de la définition de la poésie chez Al-Jahidh : « La poésie est une industrie », en référence au sens premier de l’art, celui d’une technique et d’un savoir-faire. Il n’a certes publié que deux recueils, Braderie et Je ne suis pas mort ; mais je sais qu’il a dans ses archives de quoi en remplir deux ou trois autres.
Il faut dire aussi qu’un pédagogue de souche a beau être poète, il ne saurait ignorer la créativité pour les enfants. Dans ce dernier genre, celui de la « littérature de jeunesse » où notre invité compte déjà 5 titres de livres, Samir Marzouki excelle et il m’a été donné d’en rendre compte dans une communication du Troisième colloque international de la Cireb à Paris, « De la brachypédagogie : Instruire, enseigner, éduquer, converser », dont les Actes sont publiés dans la revue Conversations n° 17, du premier semestre 2024.
Le Pr. Marzouki n’est pas indifférent à l’exercice de la traduction surtout que toute sa famille peut compter parmi celles qui ont vécu ou qui vivent dans la dynamique tension, au double sens du mot, entre la langue arabe et la langue française. Une famille qui informe, à sa façon, de cette proximité de deux langues condamnées encore à vivre dans le tiraillement des aléas de l’Histoire.
J’ai eu la chance de connaître de près cette famille baignant toute dans l’eau nourricière du poétique : d’abord mon professeur d’arabe en deuxième année de la maîtrise de français, Riadh, ensuite Samir, l’année d’après, puis Leïla et un long et sympathique parcours à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Kairouan, à ses débuts, une faculté dont j’ai hérité plusieurs amitiés très chères, même si très peu bruyantes. A la fin, c’est Issam qui a bouclé le carré d’as.
Je n’oublierai pas Afifa Chaouachi, l’épouse, collègue et amie de Samir et de nos poésies. Comment Samir négligerait-il alors l’exercice de la traduction.
Ses nombreux articles sur le rôle de la traduction dans les différentes interrogations linguistiques et civilisationnelles, surtout en rapport à la francophonie et au bilinguisme, sont très édifiants.
Mieux encore, il s’est senti en devoir de traduire son père, Notre Grand M’hammed Marzouki, et ce travail restera sa principale action dans le genre, car tout le reste n’est qu’un travail de contrôle.
Samir a donc traduit en français M’hamed Marzouki, En compagnie des bédouins dans leurs campements et leurs déplacements, Centre national de traduction, Tunis, 2010 (traduction en français de l’ensemble de l’ouvrage).
Il a même rendu compte de l’importance de ce travail pour lui dans un article intitulé du premier numéro de la revue Conversations, un article intitulé "De la traduction comme conversation posthume", (Conversations, Revue des études brachylogiques, no 1, 2016, Tunis, Editions Brachylogia, p.74- 82).
On l’imagine bien, avec un tel bagage et une telle profondeur dans sa vision des choses de la vie et de la société, Samir Marzouki ne peut pas rester en dehors de l’agora médiatique même si son discours n’y est pas toujours polémique : il est plutôt conversationnel, touchant autant au sociétal qu’à l’existentiel.
En s’attardant 4 sur ses souvenirs d’un frère trop tôt parti, que je n’ai pu connaître de près, Paix à son âme, on saisit comment l’affection humaine peut enjamber certaines arrogances de la raison pour se réfugier dans la douceur dont on ne saurait dire si elle est foncièrement mythique ou mystique.
Peut-être est-ce cet état d’esprit qui commande la pratique médiatique de Samir Marzouki, écrite et radiophonique, pour l’inscrire dans la sérénité du débat culturel et de l’hospitalité affective.
A l’occasion me revient alors le souvenir des années soixante où la Tunisie se construisait dans la diversalité culturelle et ou tous deux, chacun de son côté, Samir et moi, mordions avidement aux douceurs intelligentes du 7 ème art, surtout dans le cadre des ciné-clubs et des cinéastes amateurs.
Arrête-toi donc, Ego, sinon tu vas finir par dire : Samir, c’est moi.
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