• Actualité
  • Chronique
  • 22/05/2020 à 15:27

Mort du grand poète et penseur Salah Stétié

Mort du grand poète et penseur Salah Stétié
Par Mansour M’henni 

Salah Stétié est mort dans la Nuit du Destin, la nuit du 19 au 20 mai de l’année 2020 à Paris. C’était un grand ami personnel, à qui je dois une élégante préface de mon troisième recueil de poèmes Créencontres en 2003, et un grand ami de la Tunisie où il a été fréquemment invité pour donner des conférences ou pour lire sa poésie.
Que dire d’un ami aussi important et d’une personnalité aussi illustre dans une pareille circonstance où la tristesse a tendance à hypnotiser l’esprit et où le cœur tient lieu de foyer de l’intelligence ?
Suffirait-il de rendre l’écho de l’information journalistique par des propos du genre : Salah Stétié était un homme d’une grande culture, avec une personnalité alliant la joie de vivre à une rationalité franche et pénétrante.
Il est incontestablement l’une des principales figures de la poésie contemporaine, traduit en plusieurs langues ; son œuvre poétique et critique occupera longtemps les chercheurs et les intellectuels de tous bords ?
On y ajouterait volontiers que c’est à Beyrouth qu’il est né un 28 décembre 1929 et qu’il y a fait l'Ecole Supérieure des Lettres avant de poursuivre ses études universitaires en France.
Dans le même esprit, on répètera aussi : « Fondateur et responsable pendant des années de l’hebdomadaire culturel L'Orient littéraire, diplomate longtemps en poste à Paris, ancien délégué permanent du Liban à l'UNESCO, puis ambassadeur au Maroc, secrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères à Beyrouth puis ambassadeur à La Haye, Salah Stétié aura été toute sa vie "un grand itinérant du songe et de l'action".
Il a obtenu en 1995 le Grand Prix de la Francophonie, décerné par l'Académie française. Il est membre de la Commission de Terminologie et de Néologie de la langue française. »
Mais c’est trop peu pour ma douleur et mon amitié.Le souvenir m’emporte, pendant que je feuillette quelques-uns des livres qui m’accompagnent et dont la plupart m’avaient été offerts et dédicacés par mon défunt ami : « à Mansour Mhénni, mon frère en poésie – de ce côté-ci du feu.
Très amicalement / affectueusement », avait-il écrit à l’entrée de son recueil L’autre côté brûlé du très pur.
Ce n’est qu’au début des années 90 du siècle dernier que j’ai fait connaissance avec Salah et que je l’ai interviewé pour un journal de la place ; mais l’impact saisissant qu’a eu sur moi son livre La Unième nuit, un repère initial pour moi et toujours d’actualité, date de la parution du livre en 1980.
Tout aussi important est encore l’impact de son livre Mahomet qui me paraît peut-être le meilleur jamais écrit (2000) sur le Prophète. J’en cite ici la clausule qui paraît tout de propos : « Quand les deux yeux du Prophète se furent fermés à la lumière de ce monde, on peut penser que là où ils se sont rouverts, la lumière qu’il a tant aimée, qu’il a tant sollicitée toute sa vie, l’attendait.
Il n’en fut pas ébloui, la connaissant. Simplement l’homme qui va devenir le point de ralliement de millions d’hommes a vu peut-être se former sur ses lèvres la parole : Lumière sur lumière ! / Dieu guide, vers sa lumière, qui Il veut. »
J’ai invité Salah Stétié au Premier Symposium des Expressions Culturelles et Artistiques de la Méditerranéité (Secam1), organisé à Monastir en 1999 par l’Association pour la Culture et les Arts Méditerranéens (ACAM) dont j’étais le président-fondateur (en 1996-1997).
C’est que la vision de la Méditerranée, chez S. Stétié, est fondatrice d’une vision civilisationnelle qui me semblait s’inscrire dans un concept inscrit au centre de l’action de notre association, la Méditerranéité. Depuis, il a donné plusieurs textes à la revue Thétis, revue semestrielle de l’association.
Salah Stétié a sur l’art un regard de grande finesse et d’intelligence profonde et il faudra en reparler plus amplement, dans un autre contexte plus approprié, comme d’ailleurs de sa poésie, qui est d’une modernité et d’une poétique exceptionnelles, malheureusement insuffisamment étudiée pour l’importance qu’elle revêt.
Je me sens fier et heureux d’avoir été le premier à programmer un de ses recueils et non des moindres, L’Eau froide gardée (Gallimard, 1973), à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sousse en l’an 2000, mais l’expérience ne dura qu’une année.
Salah ne m’a pas caché son souhait de me voir écrire un livre sur sa poésie, mais d’autres préoccupations m’en ont empêché et je n’ai pu écrire qu’un article (« Au (re)pensoir stétien de la brachylogie », revue Conversations N°6, Second semestre 2018) où j’ai abordé, du point de vue de La Nouvelle Brachylogie, un de ces recueils en articulation à « l’Anthologie de vers [de Victor Hugo] isolés, recueillis et préfacés par Salah Stétié », Hugo ? Oui, Hugo ! Sous forme d’épigraphe sur la première de couverture de cette anthologie, il y a ce vers isolé de V. Hugo au numéro 97 de la série : « Un poète est un monde enfermé dans un homme ».
Le poète S. Stétié est parti, mais son monde est toujours là, entre nos mains, dans ses textes. Puissions-nous y reconnaître certains signes d’une humanité qui marche aussi, qui marche surtout au pas de la littérature ?Paix à ton âme, cher Salah ! Pour toute la lumière qui couve dans tes textes… 
Partager sur
Retour
Les Dernières Vidéos
Les Dernières Actualités