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  • 11/07/2020 à 13:46

Retour à l'anormal

Retour à l'anormal
Par Mohamed Ali Dhraief


Aujourd'hui encore, grand-père n'était pas là. Je l'attendais quelques minutes dans la cuisine, avec l'espoir qu'il fasse éruption avec sa grande carrure et les "Ftira" à la main. Quelques minutes et un gargouillement de ventre plus tard, j'acceptai son absence et m'empressai de prendre mon petit déjeuner. Je me suis dis que je devais peut être aller lui rendre visite plus tard.
Je préparai mon café, et mis la tablette sur le Daily Show pour suivre l'actualité.
Aujourd'hui, 5 Juin 2030, Kanye West ne se faisait plus ses battles avec des rimes mais avec des décrets.
En effet, Président West puise son inspiration de son idole Président Trump et prône la privatisation des assurances en usant de ses innombrables superlatifs et des "punchlines" populistes.
Cinq ans après la fin de la pandémie, les quelques deux millions de mort ont quitté le monde et notre mémoire collective.
Ainsi, la foule présente dans ce rally scandait haut et fort leur soutien à leur Président et leur oubli à une période sombre pas si lointaine.
La sphère politique elle, après qu'elle se tenait en haleine en attente du progrès scientifique,  n'eût pas le courage de tenir ses promesses dues à la communauté scientifique qui se retrouvait encore délaissée, délabrée et déplorable.
Aujourd'hui, on continuait de priviligier la forme sur le fond, de valoriser ceux qui généraient un buzz à ceux qui généraient du savoir.  Soudain, je réalisais quelle date on était: le 5 Juin.
Cela faisait exactement 8 ans que le COVID-19 a eu raison de Baba. Je m'étais promis à moi-même que je devais aller au cimetière pour me recueillir sur sa tombe.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je pris mon vélo et me dirigeai vers le cimetière  du COVID.
En effet, la ville de Paris a crée un cimetière à toutes les victimes tombées dans cette guerre avec l'espoir d'immortaliser les leçons tirées de cette période sombre. 
Musique dans les oreilles, vent dans les cheveux, je pédalais, longeais la Seine et profitais de la nature.
Depuis la mort de mon grand-père, je m'étais promis de faire des leçons tirées du confinement des directives de vie, sinon, sa mort serait vaine. 
Si le confinement n'est qu'une période passée encloitré et non une période d'introspection, toutes les victimes tombées au combat ne s'élèveront pas au titre de martyr mais resteront de simples "dégâts", et je ne voulais pas réduire la mort de Baba à ce simple statut.
 Alors, je m'étais fait le serment de profiter de la nature à chaque instant que je le pouvais, d'idolâtrer toutes relations humaines et de faire de la vie non pas une course à la montre mais un beau voyage périlleux du cœur et du corps.  
Ainsi, vous pouvez imaginer mon dégoût quand j'aperçois les Parisiens, dans une éternelle course effrénée,  en train de s'accourir vers tout ce qui importait peu et délaisser ce qui importait vraiment.
Pour moi, tout ce qu'il faisait n'était que de faire du décès de Baba une mort vaine, tout comme la mort d’Adama l’était devenu.
Aujourd’hui, le nom « Adama Traoré » ne faisait plus référence à une personne noire morte de violence policière mais à l’international de Liverpool qui enchaînait les buts.  
Arrivé au cimetière, je me mis face à la tombe et je racontai à baba en murmurant : "Baba, ne t'inquiètes pas le monde a connu un retour à la normal.
Le COVID n'est plus là, le Racisme est toujours aussi présent, la Science est toujours aussi délaissée et les humains ne cessent de se haïr. 
Toutes les promesses durant la pandémie auxquelles nous avons cru ensemble avaient beaucoup d'optimisme, avaient autant de volonté que les résolutions du nouvel an. 
Baba, ne t'inquiètes pas, le monde que tu ne cessais de critiquer a connu son retour à l'anormal, mais peut être que les 50 degrés annoncés la semaine prochaine pourront faire changer notre style de vie."
Je regardais sa tombe où il y avait écrit les dates : 22 Juin 1940-5 Juillet 2022. Aujourd’hui, 5 Juin, cela faisait 8 ans. Puis, je me souris bêtement parce que je me suis rendu compte que je m’étais trompé de date.
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