Voir la Libye autrement

Pr. Khalifa Chater

Les ambassades de France en Libye et en Tunisie ont organisé  le festival « Min Ajl Libya » (Tunis, 11- 12 mars). Dans le contexte de la montée des périls, dans ce pays (guerre civile, affrontements géopolitiques, cas de dérives terroristes, difficulté du vécu, en conséquence, l'initiative  se proposait de démontrer qu’une autre Libye est possible.

Durant ces deux journées, des conférences,  des tables rondes, des expositions, des rencontres d'écrivains et des poètes, des concerts  et  un  café littéraire faisaient valoir les différentes composantes du patrimoine de la Libye, son identité singulière, sa riche culture, sa création artistique et le foisonnement des initiatives de la société civile.

Le patrimoine libyen a été présenté par des archéologues libyens, français et italiens. Notons la présence de Jean-Luc Martinez,  président-directeur du musée du Louvre et l’auteur des Cinquante propositions françaises pour protéger le patrimoine de l’humanité (rapport au Président de la République, 2015). Vincent Michel nommé directeur de la Mission archéologique française de Libye présenta l'état des fouilles. La séance consacrée au patrimoine montrait sa richesse et les enjeux de sa conservation. On connait de renom la grande ville romaine de Lebda. Mais le festival a présenté aussi les richesses du patrimoine  archéologique de Cyrénaïque ainsi que les explorations et découvertes sous-marines. L'exposition de peinture, de calligraphie et des arts visuels et les projections de courts métrages devaient montrer le panorama de la Libye contemporaine.

 L'événement a été placé sous le haut patronage de Monsieur Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe (IMA) et organisateur de la conférence internationale sur le patrimoine en danger d’Abou Dhabi. Ce qui rappelait d'ailleurs que le riche patrimoine, otage de la guerre civile, est sérieusement menacé. Signalons que l'ICOM (l'International Council of Museums)  a identifié une liste rouge des biens culturels libyens en péril. L'Icom affirme qu'elle publie cette liste afin d’aider les forces de l’ordre et les professionnels de l’art et du patrimoine à identifier les objets originaires de Libye. Ces objets, protégés par la législation nationale, les accords internationaux et les instruments normatifs, risquent de disparaître ou d’être commercialisés sur le marché illicite de l’art et des antiquités.  La Liste rouge n’est pas une liste d’objets volés. Les biens culturels présentés sont des objets inventoriés au sein de collections d’institutions reconnues et qui risquent d'être objets de pillage. Le but de la Liste rouge d'urgence des biens culturels libyens en péril, préparée en étroite collaboration avec une équipe d’experts nationaux et internationaux, est de garantir aux générations futures l’accès à ce patrimoine. “Les pertes subies, déclare l'ICOM, appauvrissent notre compréhension d’un pays d’une richesse culturelle exceptionnelle. La disparition lente mais régulière des témoins matériels du passé libyen nécessite une action immédiate pour les protéger”. L'ICOM mobilise la communauté internationale, pour empêcher la vente de ces trésors pillés.  Chiara Dezzi Bardeschi, qui a géré le programme culture de l'Unesco en Libye, présente au festival de Tunis, estime qu'il n'ya pas,  dans le cas libyen, de destructions massives mais un manque de protection des sites antiques et un trafic de pièces archéologiques en pleine expansion. Face à ces menaces, elle compte sur la mobilisation des populations locales : “Pendant les événements liés à la révolution, dit-elle,  beaucoup de sites ont été protégés par les communautés locales et encore aujourd'hui il y a beaucoup de sites qui continuent à avoir une considérable participation et contribution aussi par des volontaires”. 

Alors que les affrontements  restent à l'ordre du jour et que les négociations entre protagonistes n'ont pas encore réussi à identifier les termes d'une réconciliation nationale, une telle rencontre donne des raisons d'espérer.